Pour comprendre où se situe notre cuisine, nous vous proposons de regarder ce que fut son évolution depuis un siècle, période
pendant laquelle elle fut la référence ultime et de voir si cette place est à ce point contestée aujourd'hui.
Début de 20ième siècle : Codification et protocoles.
Process et techniques comptent plus que le produit. Le début du siècle fut marqué par la présence d’un personnage central dont l’influence devait marquée la 1ère moitié du 20ième siècle, Auguste Escoffier. Si le grand mérite de la cuisine française fut, depuis la fin du 18ième siècle, de codifier et de structurer la cuisine et d’ériger en quasi art l’artisanat de la cuisine, Auguste Escoffier et son manuel en représente le meilleur exemple. Les pratiques de la grande cuisine mondiale devaient en être marquées pendant plus de 60 ans.
La nouvelle cuisine française : Le produit roi
La véritable révolution que représenta l’avènement de la nouvelle cuisine teint au souhait des cuisiniers de repenser leur métier, son objet et sa finalité.
Cette réflexion aboutit à une véritable obsession du produit et la cuisine ne devait avoir d’autres buts que de mettre ce dernier en valeur. D’autres
principes sur la tenue des cuisines, le rôle du cuisinier et l’importance de l’accueil des clients comptèrent mais aucunes ne pouvaient suffire sans cette
exigence du produit.
Cette période qui vit le couronnement d’authentiques génies de la gastronomie française parmi lesquels le 1er ne fut peut-être pas Paul Bocuse mais son
maitre Fernand Point, aboutit à un extrême raffinement de la cuisine et à une extrême précision des techniques culinaires. C’est en cela que les très grands
cuisiniers que sont Freddy Girardet, Joel Robuchon et Alain Duccasse peuvent être considérés comme le sommet de cette évolution.
Le début des années 90 : La personnalisation de la cuisine, de l’art culinaire à l’expression culinaire.
Dés lors, existe-t-il une unité, un lien commun entre des cuisiniers aussi différents qu’Alain Passard, Bernard Loiseau, Michel Bras voir Pierre Gagnaire ?
En fait oui et il s’agit du principe de cuisine comme mode d’expression à part entière. Forts de la même maitrise technique que leurs ainés, chacun de ces
cuisiniers a pris soin d’exprimer dans sa cuisine sa personnalité et son originalité. Là où des Outhiers, des Vergés, des Bocuses et des Troisgros bien que
grand précurseurs faisaient apparaître un style certes, ces nouveaux cuisiniers se sont fondus tout entier dans leurs cuisines.
La cuisine moléculaire, évolution ou révolution culinaire
Cette cuisine dite « nouvelle » voire « révolutionnaire » peut-être vu comme l’expression marquée d’un style de grande cuisine espagnole qui s’était déjà exprimé par Arzak dans la années 80. Mais son mode d’expression peut-être plus libre collait encore plus aux cultures ibériques notamment Catalane et Basque. Néanmoins, la cuisine de certains de ces cuisiniers parmi lequel Ferran Adrian du El Bulli marque bien un tournant majeur dans l’évolution culinaire actuelle mais dans un sens assez opposé aux évolutions du siècle dernier que nous venons d'exposer. En effet, le principe même de cette cuisine ne fait plus du produit l’acteur majeur. Ce dernier peut être totalement destructeur. L'oeuvre de la nature est mise au second plan. On peut même imaginer faire du bon avec du mauvais. De ce fait, si révolution il y a, on peut se demander si elle constitue un réel progrès puisque le combat de la nouvelle cuisine consistait également à valoriser le travail d’artisan producteur dans une chaine plus large de contributeur à l’art de bien manger. Il ne faudrait pas que cette évolution fasse croire à certains que le produit n’est plus aussi important et qu’une bonne cuisine est possible sans bon produit comme cela fut le cas au début du 20ième siècle. Une révolution marque certes une rupture mais elle ne peut porter ce nom que dans le cas où elle représente un progrès et non une régression aussi technique soit elle. Les principes de la cuisine moléculaire largement utilisée ne peut être qu’un moyen au service de l’expression culinaire et non une finalité. Si le goût doit rester un des moteurs de la cuisine, ce goût ne peut s’exprimer sans un profond respect du produit sur lequel il repose.